Risque: instrumentalisation
du bénévolat

Pour mémoire, le risque d’instrumentalisation du bénévolat et des bénévoles a toujours existé ; les associations y ont été plus ou moins attentives, par exemples :

  • au sein même des associations, quand elles ont oublié le Projet Associatif fondateur ou quand elles considèrent les bénévoles comme de la main d’œuvre pas payée ;
  • par les adhérents associatifs quand ils sont sur une logique consumériste,…laissant à quelques uns le soin de prendre en charge l’essentiel des activités (exemple, notamment, mais pas exclusivement, du secteur sportif) ;
  • par les pouvoirs publics et les collectivités territoriales, quand elles ne respectent pas l’indépendance associative et considèrent les associations comme des sous-traitants de fait, au prétexte qu’ils les subventionnent (…quand elles ne les font pas entrer dans des démarches strictement clientélistes !)
  • par les entreprises, quand leurs relations avec les associations n’ont pour seul objectif que la revalorisation de leur image dégradée.

Ce risque récurrent est actuellement en voie de progression importante et inquiétante, en raison d’un triple phénomène :

  • la raréfaction des fonds publics (d’Etat ou des Collectivités Territoriales) ;
  • la diminution des emplois publics ;
  • la mise en concurrence des associations (entre elles ou avec le secteur marchand) par le biais des appels d’offres (ou des appels à projets dont certains sont des appels d’offres déguisés) (au travers notamment de l’application de la Circulaire Fillon de 2010 et du risque de perte de la notion de « compétences générales » dans les collectivités territoriales).

Le fait que l’Etat et les Collectivités Territoriales prennent aujourd’hui de plus en plus les associations pour des sous traitants a pour conséquence que les financements sont de plus en plus conditionnés par les projets présentés, qui doivent s’inscrire dans la politique - plus ou moins bien définie - de la collectivité, et non en rapport au Projet Associatif. Cela conduit de fait à ce que les associations ne présentent plus que des projets finançables. Les salariés et les bénévoles doivent avoir les compétences correspondantes, souvent par des salariés de haut niveau, pour un salaire dérisoire ! Le temps des salariés et des Responsables associatifs est absorbé par ces projets au détriment du temps à consacré à l’objet associatif. Cette situation n’est pas spécifiquement française puisque le même problème a été posé au sein du Centre Européen du Volontariat (CEV).

 

La nécessité de distinguer bénévolat et autres activités d’intérêt général

Une première confusion vient de ce qu’on appelle souvent « bénévolat » toute forme d’activité d’intérêt général sans rémunération directe « à sa valeur marchande.

Ainsi, un premier progrès serait de bien spécifier ce qui relève du bénévolat ou d’autres formes d’activités d’intérêt général qui peuvent contribuer « à la pédagogie de l’engagement » dans des conditions éthiques satisfaisantes :

1) Bénévolat

Pour mémoire, France Bénévolat s’est toujours calée sur la seule définition (non juridique) suivante : « Est bénévole toute personne qui s’engage librement pour mener une action non salariée en direction d’autrui, en dehors de son temps professionnel et familial » (Avis du Conseil Economique et Social du 24 Février 1993). Si on prend au pied de la lettre cette définition, elle dit « non salariée », elle ne dit pas gratuite !

2) Volontariat

Au-delà des différents statuts, on voit bien que cette forme d’engagement –globalement en émergence- introduit un nouvel espace entre bénévolat et salariat et, du coup un droit spécifique (indemnité mais pas salaire ; rapports d’autorité mais pas de lien de subordination,...). Si les deux concepts « bénévolat » et « volontariat » existe dans de nombreux pays de l’UE, les frontières ne sont pas les mêmes (à titre d’exemple, en Belgique, les bénévoles peuvent être indemnisés, et sont donc plus proches de nos volontaires…

3) Mécénat de compétences

Même si les salariés sont (vraiment ?) volontaires, il y a bien rémunération. Par ailleurs, le développement de « pré- retraites maison », avec maintien d’une large part du salaire sous réserve d’activités d’intérêt général (appelées « bénévoles »), doit être analysé avec précaution, même si l’intérêt des associations est évident et si ces formules contribuent à une bonne transition travail/retraite.

4) Journées solidaires

Cette forme de mobilisation collective, entrant dans le « mécénat de compétences », de salariés, sur de courtes durées, constitue à l’évidence des opportunités pour faire découvrir « Le Monde associatif » à des salariés. France Bénévolat contribue largement au développement de ces pratiques, car entrant dans les démarches de promotion du bénévolat et de « pédagogie de l’engagement », mais il est indispensable de ne pas tomber dans des gadgets de communication et respecter des règles éthiques.

5) Projets collectifs d’école (non notés) 

Ces démarches sont très proches des « journées solidaires» pour les entreprises. France Bénévolat contribue à développer ces pratiques (en particulier dans les lycées), mais de nombreuses actions de grandes associations vont dans le même sens (« paquets de Noël, collectes, opérations de communication, projets solidaires,…)

6) Projets d’établissements d’enseignement obligatoires ou optionnels, et notés

France Bénévolat s’est beaucoup mobilisée pour participer à des expérimentations dans des « Grandes Ecoles » (ou plutôt dans des établissements d’enseignement supérieur), avec 3 cas de figures : a. un temps en association est obligatoire dans le parcours pédagogique (exemple de l’Ecole de Commerce de la Rochelle) b. un projet collectif est obligatoire mais le fait de le mener dans ou avec une association est une opportunité parmi d’autres (exemples de l’Ecole des Mines, de l’Ecole Centrale, de l’IGS…) c. le « Projet Collectif », dont ceux menés dans des associations, est une option (en lieu et place de cours académiques) (Exemples de Sciences-Po, d’HEC…)

7) Valorisation académique d’engagements bénévoles individuels d’étudiants (ECTS- European Credit Transfer System - Système européen de transferts de crédits)

Ce sont plutôt les Universités qui ont ouvert ces possibilités. ANIMAFAC est très attentive à ce qu’il n’y ait pas de dérives et que cette possibilité ne constitue pas de simples opportunités pour avoir facilement des « points de diplômes ».On est bien sur « une ligne de crête ».

8) Stages dans des associations

Le terme « stage » est large ; c’est toute activité sous la responsabilité de l’établissement d’enseignement « hors les murs ». Il y a un spectre large de stages, par exemple :

a. les stages courts (type « Ecole Alsacienne » : 2 ou 3 semaines pour des élèves de 2° pour leur faire découvrir les associations, au sein d’une volonté éducative),

b. des stages en associations quasi obligatoires (Exemple des Ecoles d’assistantes sociales),

c. des stages professionnels, comme ailleurs » (Exemple de notre coopération avec l’IUT de logistique de Cergy Pontoise)

d. des stages d’étude de longue durée (avec indemnisation) : Masters…

Dans tous les cas, la question est posée aux associations pour faire en sorte que ces « stages » ne soient pas tout à fait comme les autres et pour, qu’à cette occasion, ces jeunes découvrent la vie associative et qu’un apport de connaissances leur soit donné.

9) Activités bénévoles avec contreparties, significatives ou marginales : concerts, cartes de crédit ou réductions, permis de conduire,…)

Un débat assez passionnel s’est développé à l’égard de Rockorps. On peut se poser légitimement la question de l’impact (les avis des associations qui ont utilisé le dispositif sont divers), mais il existe bien d’autres cas qui posent des problèmes éthiques…et juridiques (l’URSAFF et l’Inspection du Travail sont particulièrement attentives), à titre d’exemples :

a. tous les bénévoles qui se mobilisent dans les festivals culturels ont des contreparties matérielles ;

b. de nombreuses collectivités territoriales offrent gratuitement des cours d’auto-école à des jeunes en contrepartie de « 50 heures de bénévolat » (sic) ;

c. les bénévoles de l’AFEV ont des avantages accordés par la BNP (voir tracts dans les agences) ;

10) Travaux d’Intérêt Général (TIG)

Par définition, ce sont bien des activités d’intérêt général…mais obligatoires, puisque situées dans le cadre de condamnations. Certains Centres FB répondent à des demandes des Services judiciaires pour trouver des associations acceptant des TIG. Il y a bien « intérêt général »…mais pas « bénévolat ».

 

Une « doctrine d’usage » basée sur trois principes

Trois principes devraient éclairer l’analyse, le discernement et la décision :

1) le principe de complémentarité

C’est le plus évident), mais les marges entre complémentarité (c'est-à-dire apport de valeur ajoutée humaine), compensation, subsidiarité ou pur remplacement peuvent être ténues (entre « pouvez me trouver un bénévole pour remplacer un salarié en arrêt de maladie ? » et compensation auprès de malades ou de personnes isolées du fait de la diminution des emplois publics…il y a des différences…). Ce critère de complémentarité vaut autant au sein des associations dans le débat sur les rapports salariés/bénévoles (d’où la nécessité de Chartes du bénévolat) que dans les rapports avec les services publics (hôpitaux, maisons de retraites, « Pôles sociaux des collectivités territoriales, prisons, enseignants…).

Pour les associations, ce sont la qualité du Projet Associatif, son appropriation réelle par toutes les « parties prenantes », les moyens mis en œuvre pour vérifier qu’il constitue « la référence » qui constituent les indices prioritaires.

2) Le principe de partenariat

Ce critère concerne plus directement les rapports avec les collectivités territoriales. Ils peuvent être difficiles. D’ailleurs la notion de partenariat n’a jamais été définie ; on peut la définir comme une coopération égalitaire avec des objectifs communs, plutôt de moyen ou long termes. S’il y a apport financier, c’est que les partenaires ont décidé de rétablir un équilibre qui serait trop inégalitaire. Ainsi :

a. ces collectivités acceptent-elles de présenter aux associations leurs priorités en matière de politiques publiques (sociales, éducatives, voire économiques) et de réfléchir ensemble aux contributions, toujours partielles, des associations et du bénévolat et à la mise en œuvre de ces politiques publiques. D’ailleurs, « partenariat » ça veut dire considérer l’autre comme égal mais différent ;

b. ou au contraire, ces collectivités territoriales considèrent-elles les associations comme des instruments, avec d’ailleurs de plus de critères quantitatifs (« la culture du chiffre ! »), sans accepter une réflexion commune sur les aspects qualitatifs et l’impact à long terme de l’ action des associations

3) le développement de pratiques d’évaluation et d’analyse d’impact

Il est clair que la voie de « sortie par le haut » est, pour les associations, leur capacité progressive à développer des démarches d’évaluation de leurs actions, en termes d’efficacité et d’efficience, et donc évidemment pas réduites à des seuls indicateurs quantitatifs d’activité. Les collectivités territoriales sont, sauf très rares exceptions, dépourvues de véritables dispositifs d’évaluation (elles ont au mieux des instruments de contrôle) : si les associations savent avoir une longueur d’avance sur elles, elles augmenteront leur légitimité et pourront se positionner en « partenaires ». Sur ce registre, le chemin à faire pour les associations est considérable…raison de plus pour s’y engager sans tarder !

 

En conclusion de ces analyses et propositions, il convient de rappeler, sans cesse, que le bénévolat est une activité gratuite exercée librement qui ne doit pas se substituer au travail rémunéré. Il est inconcevable de le considérer comme une alternative à de la main-d’œuvre salariée. Le travail rémunéré et l’activité bénévole sont complémentaires : ils ne sont pas antagonistes, mais au contraire, ils doivent se renforcer mutuellement.

Le bénévolat doit être reconnu pour sa dynamique propre ainsi que pour les valeurs dont il témoigne. Il crée de la cohésion dans la Société, favorise les relations entre les individus eux-mêmes et envers la société. Preuve vivante de la solidarité, c’est aussi l’expression d’une citoyenneté active fondée sur le libre arbitre et la motivation. C’est pourquoi les associations doivent être vigilantes et ne pas accepter des missions que les pouvoirs publics ou des organismes privés leur confieraient au seul motif que des bénévoles, en se substituant aux professionnels salariés, permettraient à la collectivité ou à ces organismes de faire des économies.

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